Hochelaga, Terre des âmes : « Sinkhole », « thinkhole » et trous de mémoire

Réflexions de Joseph Lévy, chercheur régulier au LABRRI

Déjà le titre annonce, dans un mauvais jeu de mots rappelant l’exposition universelle de Montréal en 1967, une perspective qui se veut inclusive, du moins en apparence, sur le passé complexe de la région de Montréal, en reprenant le nom autochtone de Hochelaga donné au village semi-sédentaire iroquoien qui aurait été situé près du Mont-Royal. Intention louable, certes de récupérer les racines amérindiennes de la ville, mais au prix de quelles contorsions !! Suite à un effondrement de terrain de football américain dans le stade de McGill, un « sinkhole » survient, entraînant la mort d’un joueur de l’équipe locale, les Redmen, qui doit s’entraîner sous la pluie !!! Cet évènement démarre le propos du film. Avec cette image du trou béant dans la terre, on ne fait pas mieux pour démontrer le peu de profondeur du film et le creux de son propos! Le nom de l’équipe est aussi ambigu. Renvoie-t-il à l’appellation désuète des autochtones ou à l’habit rouge des soldats britanniques dont le film donne un aperçu plus tard? Quant à la référence au football américain, elle s’inscrit dans la représentation du sport comme forme moderne d’agressivité, une association confirmée dans une scène où l’équipe et un groupe de guerriers autochtones fantômes se croisent sur le terrain !! Cette séquence est un raccourci exemplaire de la superficialité qui parcourt tout le film.

Mais ce n’est pas tout! Encore faudrait-il que le propos historique soit placé dans une perspective intelligible. Quoi de mieux alors que le situer dans le cadre d’une recherche archéologique qui permet, théoriquement, de rendre compte des fouilles et des datations des artefacts collectés. Mais là encore quelle superficialité! Le doctorant, d’origine autochtone, soutient sa thèse devant un parterre de sommités dans le domaine, mais on ne saisit que des bribes de sa démonstration, entrecoupées de flashbacks, équivalents à des tranches découpées dans le salami historique dans un ordre dont on ne comprend pas très bien la logique! Passons sur l’histoire d’amour entre un Français et une Algonquine au XVIIème siècle à un moment où la colonie se développe, environnée par les durs hivers et les épidémies. À peine esquissée, cette idylle disparaît dans les tourbillons de neige et les brumes de l’histoire. Comment ne pas voir dans cette scène une reprise édulcorée des éléments de l’histoire de Pocahontas? Que voulait signifier cet épisode? Que l’amour se fiche des identités culturelles, annonce la mixité d’une autre relation. Quelle perspicacité! Le cinéaste reprend lourdement cette perspective en la situant dans la période contemporaine, le joueur de football mort entretenant une relation amoureuse avec une jeune musulmane qui venait lui annoncer qu’elle portait son enfant, soulignée par la répétition des nausées qui accompagnent sa grossesse !! Rien de plus pathétique et de stéréotypé que cette scène dans la morgue!!! Là encore aucune imagination, sauf celle qui court dans les romans de type Harlequin ! 

L’épisode des Patriotes de 1837, qui voit la mort de deux d’entre eux sous les coups de fusil des tuniques rouges, reste enveloppé de mystère. On ne comprend pas pourquoi la vieille dame anglaise prend parti pour les Canadiens-français! Le cinéaste veut-il nous faire comprendre qu’il ne faut pas mettre tous les Anglais dans le même panier? C’est encore réussi!! Quant à la scène de l’arrivée de Jacques Cartier en 1535, elle est à mettre en parallèle avec celle, plus épique, de l’arrivée de Christophe Colomb en 1492 sur l’île de Guanahani telle que décrite dans le film « 1492 : Christophe Colomb » du réalisateur Ridley Scott. Cette séquence ressemble encore une fois à du réchauffé, avec force de discours en langue autochtone et en français d’époque s’il vous plait, insistant sur la remise d’un crucifix au chef du groupe aveugle !! Pourquoi avoir choisi un tel personnage? Que voulait-il signifier? Cette cécité rappelle des images du passé où l’Église représentait le refus de la divinité du Christ par la figure de l’aveugle !! Ou bien l’aveuglement face à la colonisation qui va suivre?

Quant à la séquence qui place sur les gradins du terrain de football des personnes des différents groupes passés et présents, elle est d’un kitsch exemplaire dans sa vacuité. Que dire de ce film navrant tant par ses raccourcis historiques et cinématographiques, la superficialité des personnages à peine esquissés, le ton moralisateur du propos, sa fausse spiritualité et le traitement décousu qui se veut être un style réalistico-onirique raté !!!

Franchement, ce film est une perte de temps et à un prix de la minute qui fait rêver, environ 150 000 dollars payés par nos impôts !!! Combien de recherches autrement plus intéressantes auraient pu être menées avec ce budget et combler ainsi bien des trous de mémoire encore si évidents sur l’histoire de la ville de Montréal!